Par Paul Guyonnet
@HuffPost
Longtemps collaborateur du « HuffPost Maghreb », le journaliste Ihsane El-Kadi est une voix dissidente qui porte contre le régime autoritaire en place en Algérie.
Le journaliste Ihsane El-Kadi, longtemps collaborateur du HuffPost Maghreb, a été arrêté par les autorités algériennes et placé en détention provisoire. De nombreuses voix s’élèvent pour dénoncer une arrestation politique visant à censurer la presse critique du pouvoir.
LIBERTÉ DE LA PRESSE - Une voix critique que l’on cherche à faire taire.
Dans la nuit du 23 au 24 décembre dernier, le journaliste algérien Ihsane El-Kadi, collaborateur pendant six ans du HuffPost Maghreb, a été arrêté par la Direction générale de la sécurité intérieure algérienne. Depuis, sa garde à vue a été prolongée et ses proches restent sans perspective de le retrouver.
Au HuffPost, une source à Alger confirme en effet ce jeudi 29 décembre qu’un juge d’instruction a décidé de placer Ihsane El-Kadi sous mandat de dépôt. Et que cinq jours après l’arrestation, les charges retenues contre le journaliste ont enfin été communiquées. Ihsane El-Kadi est ainsi accusé d’avoir perçu des fonds « pour accomplir ou inciter à accomplir des actes susceptibles de porter atteinte à la sécurité de l’État, à la stabilité et au fonctionnement normal de ses institutions, à l’unité nationale, à l’intégrité territoriale, aux intérêts fondamentaux de l’Algérie ou à la sécurité et à l’ordre public ». Des éléments qui peuvent correspondre, au vu des habitudes d’Alger, au simple fait d’exercer son métier de journaliste. Il encourt pour cela entre cinq et sept ans de prison, et est passible d’une amende équivalente à 3 000 à 5 000 euros.
En réaction à ce placement en détention, Reporters sans frontières a déploré, par la voix du journaliste Khaled Drareni, « l’aboutissement d’une longue persécution et d’un harcèlement judiciaire sans fin dont l’objectif évident est de faire taire un des derniers médias algériens encore ouvert au libre débat et à la critique ». Et d’ajouter qu’il s’agit d’un « message lourd à ceux qui continuent de défendre la liberté d’informer ».
Locaux sous scellés et médias à l’arrêt
Dans un premier temps, les autorités n’ont pas énoncé les faits reprochés à Ihsane El-Kadi. Ce qui n’a pas empêché la DGSI de mettre les formes pour l’interpellation du reporter. Comme le relate La Croix, pas moins de six hommes ont été envoyés en pleine nuit pour cueillir le journaliste dans sa résidence familiale avant de le conduire à la caserne Antar, un lieu tristement célèbre pour abriter depuis des années le bras armé de la répression politique et des renseignements intérieurs dans le pays.
Ce qui fait dire à Tin Hinane El-Kadi, la fille de l’homme qui dirige la webradio « Radio M » et le média économique Maghreb Émergent, que l’arrestation de son père est éminemment « politique », comme elle l’a expliqué à nos confrères de Libération. « L’ordre vient d’en haut car aucune procédure judiciaire n’a été respectée, aucun juge n’a demandé la perquisition ou la mise sous scellés. »
Car effectivement, depuis qu’Ihsane El-Kadi a été interpellé par la DGSI, les deux médias qu’il dirige et qui portent une parole dissidente en Algérie ont été empêchés de fonctionner. Dès le lendemain de son arrestation et en présence du reporter menotté, la police a contraint les dizaines de journalistes à quitter leur lieu de travail, avant de procéder à des perquisitions, de saisir documents et matériel informatique, et finalement de placer les locaux sous scellés.
Toujours chez Libé, Tin Hinane El-Kadi avance une éventualité -confirmée par l’intéressé depuis sa prison- quant au motif d’arrestation de son père. En l’occurrence un article publié à la mi-décembre, un « papier d’analyse » dans lequel le journaliste évoquait des dissensions au sein de l’armée, notamment en ce qui concerne l’avenir et le potentiel deuxième mandat d’Abdelmadjid Tebboune, le cadre du FLN qui a succédé à Abdelaziz Bouteflika à la présidence algérienne.
Acharnement judiciaire
Une étincelle qui aurait donc mis le feu à des poudres déjà brûlantes. Car comme le prouve le dernier tweet publié à cette heure par Ihsane El-Kadi, dans lequel il dénonce le caractère fallacieux d’annonces gouvernementales, le journaliste n’a de cesse de critiquer le pouvoir en place à Alger. Au point de s’attirer des inimités.
Depuis qu’il a été arrêté, Ihsane el-Kadi a notamment été condamné en appel dans le cadre d’une autre affaire pour « publication de fausses informations ». Un ancien ministre d’Abdelmajid Tebboune le poursuivait pour un billet d’analyse politique portant sur le Hirak, le grand mouvement de contestation populaire qui a fait chuter Abdelaziz Bouteflika avant de s’opposer à son successeur vu comme fantoche. Une publication pour laquelle Ihsane el-Kadi a donc écopé en appel de six mois de prison ferme ainsi qu’à une amende d’environ 300 euros. L’an passé, c’est un article sur le bilan au pouvoir du président qui lui avait déjà valu une convocation par la gendarmerie. Et cela en plus d’être également attaqué en justice dans une énième affaire pour « appartenance à une organisation terroriste », sans qu’il sache réellement de quoi il en retourne.
Les défenseurs de liberté de la presse scandalisés et inquiets
En attendant, et si la famille et les avocats d’Ihsane El-Kadi ont pu lui porter des médicaments et avoir la certitude qu’il était en bonne santé, cette arrestation représente un nouveau coup contre la liberté d’expression de l’autre côté de la Méditerranée. Raison pour laquelle l’affaire a suscité une levée de boucliers unanime, en Algérie comme à l’international, chez les défenseurs de la presse et du journalisme.
Dans les titres de presse locaux, du côté de chez Reporters sans frontières ou au travers de billets écrits par des universitaires, de nombreuses prises de parole ont effectivement dénoncé cette interpellation d’une sommité du journalisme algérien. « La terreur se passe de justice », a par exemple déploré Le Matin d’Algérie, quand RSF exigeait la « libération immédiate et inconditionnelle » d’Ihsane El-Kadi, et ce par la voix de Khaled Drareni, lui-même détenu pendant un an pour avoir simplement exercé son métier de journaliste.
« Rendons-les fous », a ajouté l’économiste Kahina Redjala en appelant ses concitoyens à se mobiliser en soutien au journaliste. « Imaginez si on portait tous en nous l’engagement, la liberté et le courage d’Ihsane El-Kadi… »
Dans un long billet publié sur Facebook et relayé par Radio M, Ali Bensaad, grand spécialiste du monde arabe et du Moyen Orient basé à Paris, fustige de son côté la temporalité dans laquelle l’arrestation a été décidée. « Ihsan El Kadi a été incarcéré à minuit pile au moment où débute cette longue trêve dite des confiseurs qui plonge institutions et organisations internationales dans une léthargie de plus de deux semaines, surtout celles occidentales, les seules craintes par le régime », écrit-il, déplorant « la lâcheté » de cette décision, propre selon lui aux « voyous, que ce soient régimes, bandes ou personnes ».
« Qui peut nier aujourd’hui la dérive autoritaire du régime et la pente de médiocrité sur laquelle le pays est engagé ? », ajoute encore le professeur des universités, qui voit dans l’arrestation un « point d’orgue inquiétant » de cette « dérive » consistant à nier la pluralité de la société et des opinions. « La solidarité avec Ihsan El Kadi nous concerne tous en tant que citoyens et en tant que patriotes, au-delà des possibles divergences », conclut-il, voyant dans cette séquence un « test de maturité citoyenne » pour la société algérienne.
Une dérive « autoritaire » du régime incarné par Abdelmajid Tebboune et en réalité toujours contrôlé par les mêmes élites depuis des décennies que confirment entre autres dans Le Monde la chercheuse Dalia Ghanem, ou sur Facebook le journaliste Saïd Djaafer, « complice » éternel d’Ihsane El-Kadi au service du journalisme et de la liberté de la presse.
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