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Ce que tous redoutaient est arrivé. Après six jours de garde à vue dans la caserne Antar du siège de la direction générale de la sécurité intérieure (services de renseignement de l’armée algérienne), le journaliste Ihsane El Kadi a été mis sous mandat de dépôt le jeudi 29 décembre par le procureur de la République près le tribunal de Sidi M’hamed, à Alger.
« Vu la longueur de la garde à vue, on redoutait cette mise en détention provisoire », rapporte un de ses avocats, Zoubida Assoul. Ses avocats n’ont pas pu le voir. Ils n’ont pas encore accès au dossier. Ils ne peuvent pas non plus pour l’instant faire appel du placement en détention en cette veille de week-end en Algérie. Mais ils savent d’ores et déjà qu’Ihsane el Kadi est sous le coup de plusieurs chefs d’inculpation dont notamment financement de l’étranger en vue de déstabiliser le pays et distribution d’informations portant atteinte à la sécurité nationale.
Jusqu’à 14 ans de prison
Des griefs délictuels, mais potentiellement très lourds, susceptibles de lui faire passer de longues années en prison. En effet au printemps 2020, en pleine pandémie, le régime algérien a fortement durci sa législation pénale. Il a entre autres introduit dans son Code pénal un article 95 bis, selon lequel quiconque reçoit des fonds d’un État ou d’une organisation ou personne de l’intérieur ou l’extérieur du pays, pour accomplir des actes qui portent atteinte à la sécurité de l’État ou à l’unité nationale, est puni de cinq à sept ans d’emprisonnement. La peine peut même être portée au double « lorsque les fonds sont reçus dans le cadre d’une association, d’un groupe, d’une organisation ou d’une entente, qu’elle qu’en soit la forme ou la dénomination. »
Cet article « confère aux autorités un pouvoir discrétionnaire excessif leur permettant de poursuivre activistes et défenseurs des droits humains recevant des fonds étrangers », avait alors dénoncé le Mena rights group, l’ONG de défense des droits dans la région Afrique du Nord Moyen-Orient. Nous y voilà. « Presque toutes les personnes poursuivies parce qu’elles avaient participé au Hirak [fort mouvement de contestation qui avait eu raison du 5e mandat du président Bouteflika, NDLR] l’ont été au titre de l’article 95bis, certains ont été relâchés », se veut rassurante Zoubida Assoul.
« La lâcheté caractérise les voyous »
Ihsane el Kadi, fondateur et directeur d’Interface médias, entreprise qui abrite notamment une radio Web, Radio M, et le site d’information Maghreb émergent, se savait de longue date dans le viseur des autorités. Depuis trois ans, le régime laisse peu de répit à l’un des derniers journalistes indépendants qui a fortement pignon sur rue et dont la notoriété dépasse les frontières. Plusieurs fois poursuivi en justice, il a même été dernièrement condamné en appel à six mois de prison ferme, sans mandat de dépôt, suite à une plainte ubuesque de l’ex-ministre de la communication Amar Belhimer qui lui reprochait un de ses articles paru en mars 2020. Son entreprise a été perquisitionnée et mise sous scellés le 24 décembre.
La vaste indignation et mobilisation algérienne et internationale n’a pour l’heure aucunement fait reculer le régime qui agit en pleine trêve des confiseurs. « La lâcheté caractérise les voyous », dénonce le chercheur du CNRS Ali Bensaad sur le site de Radio M. « Qui peut nier aujourd’hui la dérive autoritaire du régime et la pente de médiocrité sur laquelle le pays est engagé ? interroge-t-il. Comment ne pas comprendre que l’arrestation de Kadi El Ihsane s’inscrit dans cette dérive, qu’elle en est un point d’orgue inquiétant ».
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