J’ai découvert, au hasard de mes lectures, la notion de « parrêsia » que les Grecs anciens utilisaient pour désigner une manière particulière de dire la vérité. Bien sûr, personne ne détient à lui tout seul la vérité de sorte que lorsque quelqu’un parle vrai, il ne dit que sa vérité, ce qui n’est déjà pas si commun.
Mais il pratique la parrêsia grecque si et seulement s’il dit la vérité dans des circonstances telles qu’il sait que cela va lui coûter cher : la vie peut-être, la liberté au moins.
Dans son discours à la nation prononcé hier, Abdelmadjid Tebboune a annoncé aux députés et sénateurs réunis au Palais des Nations que l’État avait récupéré en fonds, biens immobiliers et unités industrielles, 30 milliards de dollars des biens pillés par les oligarques de la « issaba ».
L’annonce a été chaudement acclamée par l’assistance.
30 milliards de dollars, cela fait 10 milliards de plus que la somme annoncée l’année dernière pratiquement à la même époque.
Cette somme avait alors été contestée par un tweet de Ihsane El Kadi, ce qui, entre autres audaces qu’il s’était permises, lui avait valu d’être aussitôt jeté en prison où il se trouve encore, après un simulacre de procès qui fut arbitraire de bout en bout, jusqu’à l’arrêt rendu en octobre dernier par la cour suprême.
Avec un décalage d’un an, ce passage du discours m’a incité à reconstituer ce trio que la littérature antique avait souvent mis en scène : le souverain, les courtisans et celui qui dit la vérité, c’est-à-dire qui pratique cet exercice périlleux qu’on appelait « parrêsia ».
Habituellement, les trois protagonistes jouent la scène ensemble, celui qui dit la vérité étant l’intrus dont la voix dissone aux oreilles du souverain car elle trouble le duo harmonieux qu’il forme avec ses courtisans. Ihsane El Kadi embastillé et ses émules en ayant tiré la leçon, il n’y avait hier au Palais des Nations aucun risque que quelqu’un se dresse pour crier, au milieu des applaudissements : « Objection, Monsieur le président ! ».
On a donc pu se rendre compte à quel point le discours du souverain gagnait en fluidité quand l’assistance est débarrassée de cet intrus. Et tant pis pour la vérité qu’on a emprisonnée en sa compagnie.
Khaled Satour
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